Voici un article qui résume très bien le spectacle que vous allez voir ainsi que sa genèse:
Just to dance…Héla Fattoumi & Eric LamoureuxCréation 2010
Héla Fattoumi et Eric Lamoureux, chorégraphes et directeurs du Centre Chorégraphique National de Caen/Basse-Normandie (CCNC/BN), tentent ce geste improbable:
mettre en danse l’expérience du « vivre ensemble ».
Alors qu’en France se préfigure un débat qui voudrait entériner la notion d’identité comme figée et exclusive, les deux chorégraphes réunissent trois danseurs de la République du Congo (Princia Jéarbuth Biyéla, Aucarré Ikoli N’Kazi, Orchy Nzaba), les danseurs japonais Kei Tsujimoto, Alissa
Shiraishi et Tetsuro Hattori – fruits de rencontres faites de leurs pérégrinations chorégraphiques hors Occident – et trois interprètes du CCNC/BN (Marine Chesnais, Philippe Rouaire et Moustapha Ziane) pour une symphonie sur l’altérité.
Just to dance…, titre ludique de cette nouvelle création, révèle sur le plateau un paysage né de l’écriture en flux de corps en mouvements empreints et altérés par les personnalités hautes en couleurs des conviés. Étincelant d’échanges, d’énergies et de relations, l’assemblage sensible de
ces singularités opéré par Héla Fattoumi et Eric Lamoureux organise une cosmogonie aux centres mouvants ; autant de pépites qui éclatent, débordent et s’augmentent.
La musique du multi instrumentiste Camel Zekri et de la soprane Dominique Chevaucher se déploie entre traditions et improvisations. Teintée d’électro, elle bruisse et court dans ce vaste champ d’extensions corporelles où une mondialité future s’esquisse. Niant les possibles frontières (langues, pays, culture…), les différents imaginaires irrigués par les onze interprètes se fondent en une expérience scénique d’où surgit une intense humanité. Avec ce groupe riche en diversités, Just to dance… tente de faire tomber les murs et réussit, pour reprendre les propos d’Edouard Glissant, « à penser l’autre, à se penser avec l’autre, à penser l’autre en soi ».
Just to dance… et l’utopie est en marche…
Le contexte:En 2004, Héla Fattoumi et Eric Lamoureux prennent la direction du Centre Chorégraphique National de Caen/Basse-Normandie (CCNC/BN) autour d’un ambitieux projet de lieu ouvert aux poétiques du divers : l’ici et l’ailleurs. Vaste et dense, il y est question, au travers de l’art chorégraphique, d’enrichir notre rapport au monde grâce aux expériences sensibles suscitées par la découverte d’artistes « venus d’ailleurs ».
S’il est vrai que les créations précédentes des Fatlam respiraient autour de cette préoccupation, – on se souvient notamment de Asile Poétique, Vita Nova, Animal regard, La Madâ’a et dernièrement de Manta, solo sur le voile islamique créé pour Montpellier Danse 2009 - jamais un de leur spectacle n’aura été bâti exclusivement sur les fondements mêmes de ce projet de lieu. C’est tout le pari de Just to dance…. Un titre qui sonnerait comme une profession de foi si nous ne connaissions pas la part d’ironie des deux chorégraphes. Simplement danser… ? Si seulement…
Lors de leurs nombreux séjours hors Occident, Héla Fattoumi et Eric Lamoureux ont entretenu des relations privilégiées avec des danseurs d’Afrique et d’Asie. De ces rencontres est née une envie : celle de les réunir sur un même plateau. Le chorégraphe brazzavillois Orchy Nzaba, deux danseurs de sa compagnie Li- Sangha et trois danseurs japonais - dont deux issus du Kyoto Art Center - sont très vite une évidence pour eux et embarquent dans l’aventure. Héla Fattoumi et Eric Lamoureux auraient pu alors s’arrêter là. Mais c’est encore mal connaître leur pugnacité à susciter la rencontre. Les interprètes du CCNC-BN, la chanteuse Dominique Chevaucher et le musicien Camel Zekri (guitare, ordinateur, arrangement) sont donc invités à accompagner ce premier noyau pour donner force, forme et corps à ce que nos deux chorégraphes nomment « un bloc d’humanité et de diversités ». Soit une communauté improbable, un foyer d’imaginaires pluriels qui sera pris dans un enchevêtrement, celui du « vivre-ensemble ». Comment négocier sa relation avec l’Autre ? Comment appréhender les différences ? Comment s’entremêlent le très loin et le tout près ? Comment vivre le tourbillon de la mondialité et ainsi concevoir la diversité qui est la dimension du « Tout-Monde » ? C’est à travers ces questions que s’élabore toute l’utopie de ce spectacle.
Sorte de « symphonie pour le devenir », de manifeste pour une poétique de la relation arrimée à la pensée d’Édouard Glissant, Just to dance… déploie des dialogues dansés entrelacés dans une respiration tout à la fois commune et empreinte des singularités conviées.
So, just come…
Laurent Philippe